Portrait : Christiane Badel, 47 ans à œuvrer pour les autres
Elle marche d’un pas assuré. À 79 ans, Christiane Badel est en forme. Ancienne joueuse de basket dans la ligue nationale et enseignante en éducation physique, elle a gardé une belle vigueur. Aujourd’hui, elle est vêtue d’une chemise blanche et verte, d’un bermuda blanc, de simples sandales, le tout dans des tons pastel, à l’image de son engagement profond qui n’a jamais eu besoin de grands discours. Elle n’aime pas les jupes, préférant les pantalons, plus pratiques à cette femme de terrain et de conviction.
Elle fut pendant 10 ans la présidente de Sentinelles, mais son combat auprès des plus démunis a commencé bien plus tôt. En avril 1987, sa thérapeute s’occupait de son dos et lui souffla qu’une organisation recherchait des bénévoles. Elle rencontra alors celui qui allait devenir un modèle pour elle : un homme dont le corps et l’âme étaient totalement tournés vers les plus défavorisés, Edmond Kaiser. Trois mois après, pendant les vacances scolaires, Christiane embarqua pour le Sénégal, afin de mettre en place le projet des enfants conducteurs d’aveugles.
Son engagement commença alors et elle se consacra de nombreuses années à plusieurs programmes de Sentinelles. « Je me sens chanceuse, car Edmond m’a fait confiance », explique-t-elle. Une quarantaine d’enfants ont ainsi pu accéder à la scolarisation, à la place d’être contraints d’aider leurs parents malvoyants à mendier. L’approche holistique de Sentinelles offre également la possibilité de soutenir les parents afin que la famille puisse subvenir à ses propres besoins. « Les résultats sont magnifiques ! Certains enfants sont devenus artisans, d’autres enseignants ou même directeurs d’école. »
Cette approche individuelle du suivi de la personne a touché Christiane. « Être Sentinelle, c’est être proche des gens accompagnés, de leur donner la possibilité de poursuivre leur chemin, sans assistance. »
Ses missions, elle les effectue durant ses vacances. Pas de pieds en éventail aux Maldives, ce que souhaite Christiane, c’est venir en aide. Petite déjà, elle rêvait de devenir infirmière afin d’apporter son soutien en Afrique. Ce rêve s’est transformé. Elle n’a pas soigné des corps comme elle l’imaginait. Elle a accompagné des vies. Cette Genevoise n’explique pas cet amour pour l’Afrique, elle le vit. Elle a d’ailleurs enseigné deux ans au Burundi avant son engagement auprès de Sentinelles.
À Genève, elle mène une vie sobre et équilibrée. Le matin, elle déjeune des céréales avec du yaourt. Elle consomme peu de viande et jamais de viande rouge. Son plat préféré ? De simples endives gratinées, sans jambon. Au quotidien comme dans ses goûts, elle privilégie l’authenticité et fuit l’hypocrisie, la fausseté, la malhonnêteté. Dans ses moments de détente, elle écoute Mozart, Beethoven et chante le Requiem de Fauré au sein d’une chorale, avec grand plaisir.
Quand on l’interroge sur sa personnalité, elle reste réservée : « Ce n’est pas à moi de dire ce qu’il faut retenir. » Celles et ceux qui la côtoient parlent de sa rigueur, de son implication sans faille, de son intransigeance, aussi.
Durant ses 38 ans d’investissement, Christiane Badel a assisté à l’évolution de Sentinelles. « Évolution, évolution… une continuité plutôt. L’évolution se situe au niveau du travail administratif. Les exigences se sont modifiées et il y a nettement plus de rapports à fournir actuellement. Le fond du travail, lui, n’a pas changé », corrige-t-elle.
Le mot humanitaire, elle s’en méfie. Trop galvaudé, trop éloigné de cette proximité qui est chère à Sentinelles. Accompagner, mais pas faire à la place. Elle pense que bien des personnes n’ont pas eu la chance d’avoir les ressources nécessaires pour prendre le contrôle de leur vie.
Et cette conviction, elle la puise dans ce qu’elle a vécu sur le terrain. Elle parle de ces enfants rencontrés, blessés, malades ou oubliés. Certaines familles vivaient sous un simple morceau de plastique. Chaque histoire est marquante.
Son quotidien s’est allégé des responsabilités administratives. Mais pas de l’essentiel. « On ne quitte pas Sentinelles, on quitte un poste, mais pas le fond ». Elle prend désormais du temps pour elle, qu’elle consacre à des promenades en nature. D’ailleurs, la nature a toujours été un vecteur de ressourcement. Marcher dans les bois, en forêt et observer les animaux. C’est sa manière de recharger ses batteries. Elle fait partie d’un groupe d’ornithologues et n’hésite pas à partir dans le Jura à la découverte des chamois. Elle évoque une possibilité d’un autre engagement bénévole futur, mais sans précipitation.
« Je suis reconnaissante à Edmond et à Sentinelles de m’avoir permis de participer à tout cela car c’est quelque chose de formidable que de pouvoir donner la possibilité à des gens de prendre leur vie en main. C’est vraiment grâce à ce travail que j’ai pu le faire. »
Merci à elle d’avoir contribué à la reconstruction de tant de vies.
Lynne Mabillon